J’ai 32ans et j’ai passé près de la moitié de ma vie à me conformer, à épouser un moule trop étriqué, à accepter l’endoctrinement au nom de la bien-pensance. Il faut dire que le récit est bien rodé : l’école t’apprend à être meilleur que ton voisin, ta famille te « short-liste » les métiers respectables, la société te martèle que la réussite est l’antichambre du bonheur.
Et tous chantent à tue-tête : ne ressens pas, fonctionne.
Alors très tôt, nous nous forçons d’être quelque chose, de peur de ne pas être. On cède à la pensée préfabriquée et la vie devient de l’ordre du technique. Telle une machine dotée de son logiciel programmé, on courbe le dos et on FAIT. On fait des études, on fait une carrière, on fait des enfants.
Et tous continuent rigoureusement à te murmurer : Ne ressens pas, fonctionne.
corporate shooting
Appréhender la vie en pilotage automatique
Pour ma part, j’ai suivi le parcours classique du syndrome de la « bonne élève », ou du déterminisme qui me prédestinait à faire de « bonnes études » : école de commerce, métiers de la finance, jobs dans des multinationales.
J’ai coché les cases, ressenti la fierté de mes proches, connu la reconnaissance de mes pairs, et pourtant la victoire avait un goût amer. Car très tôt j’ai ressenti la dissonance des valeurs. J’ai évolué dans un écosystème « drivé » par les seules valeurs de la production, de la performance et de la compétition. Ma valeur à moi était mesurée à l’aune du nombre de slides produites, de jours-hommes travaillés, de nocturnes assurées. Et lorsqu’un de ces KPI n’était pas à son maximum, on se juge médiocre jusqu’à éprouver la culpabilité de ne pas être suffisamment endurant ou efficace. Et si un état de fatigue mentale persiste, on nous injecte une petite dose de dopamine (entendez par là une prime pour bons et loyaux services). Et ainsi, la machine redémarrait. En attendant la prochaine rupture…
Ce système devenait notre propre ADN.
Assez tôt aussi, j’ai ressenti le manque de sens.
J’ai accompagné de nombreuses entreprises sur des projets de transformation ou d’optimisation, vendus à des milliers d’euros. J’ai d’abord ressenti la gratification et la jubilation de collaborer avec des structures prestigieuses. Puis, j’ai rapidement ressenti ce sentiment terrible d’être inutile : on pitch nos solutions « révolutionnaires », on exhibe fièrement nos références, on sort notre petite boite à outils bien rodée, on théâtralise, on porte notre plus beau costume de déguisement,…bref, on épate la galerie et on en met plein les yeux. Mais la réalité est que notre valeur ajoutée restait bien souvent à démontrer et que nous étions complétement déconnectés : le monde mutait, les enjeux évoluaient et nous restions figés dans notre petite bulle de nantis.
Mais malgré tout cela, on continuait inlassablement à me chuchoter que je devais me sentir privilégiée, comblée d’appartenir à une « élite », et fière d’y trouver ma place.
Alors ne ressens pas, fonctionne.

Renaitre une seconde fois
Et puis, le 26 Juillet 2019, je suis hospitalisée pour une arythmie cardiaque. En gros, mon cœur s’emballait et son rythme devenait préoccupant.
Ce soir du 26 juillet 2019, j’étais terrorisée par la peur de mourir. Mais j’étais aussi envahie par l’amertume et par les regrets. On ne peut s’empêcher de faire le bilan dans de telles situations : tellement de regrets d’avoir toujours suivi les chemins balisés, les conditionnements familiaux et les constructions sociales. Beaucoup de regrets de ne m’être jamais écoutée, de n’avoir jamais eu le courage de désobéir à la dictature de la pensée.
J’ai fonctionné, et si peu ressenti.
Mais ce soir du 26 juillet 2019, j’ai également vécu un moment de grâce. Seule dans ce lit d’hôpital, le moniteur cardiaque au-dessus de mon chevet, je me suis mise à écouter, par tous mes sens, les battements de mon cœur. Leurs irrégularités, leurs fréquences, leurs sonorités. Ce souffle vital qui me traverse en permanence, et que je n’ai jamais écouté auparavant. Et malgré sa petite défaillance, j’étais très émue par la complexité du mécanisme, par la puissance qui est en nous, par la puissance que nous incarnons sans en être conscients.
En fait, ce moment fut merveilleux car je commençais à comprendre que j’étais vraiment vivante. J’observais pour la première fois mon corps physique animé par cette énergie vitale qui me maintenait en vie. Je commençais à comprendre, que dans la frénésie de nos vies, c’est la Vie elle-même qu’on oublie.
Alors, comme pour accompagner ce flow d’énergie, je me mis à réguler mon rythme cardiaque par des respirations longues et profondes, à apaiser mon mental, à expérimenter la pleine présence du moment, et à m’ancrer dans toutes mes dimensions. Ce moment fut hors de toute temporalité. Aucune pollution extérieure. J’étais ici et maintenant.
Et peu à peu, l’angoisse de la mort laissait place à l’émerveillement de la vie.
Je n’ai jamais autant ressenti qu’à cet instant, le soutien et la puissance qui traversaient chacune de mes cellules. Je n’ai jamais autant ressenti de gratitude. Comme un sursaut de vie supplémentaire.
J’ai enfin ressenti, et si peu fonctionné.

A cet instant, je comprends aussi, par divination peut-être, que cette épreuve est une chance, qu’elle est un signal à recevoir, qu’elle porte en elle des leçons que je ne dois pas oublier. Cette épreuve initiatique représentait pour moi une mort symbolique qui laissait place à une renaissance.
Et c’est par cette forte intuition que j’ai posé l’intention ferme de ne plus jamais me travestir, d’être inspirée le plus souvent possible, de porter mes valeurs et d’honorer la vie qui m’a été confiée.
A l’injonction de toujours « faire », je choisissais désormais celle d’ « être ».
Mais comment manifester cela? La réflexion commençait à peine à planter ses petites graines…
Rencontrer sa véritable identité
Quelques mois s’écoulent et quelques formalités plus tard, je découvre, en scrollant sur Instagram, une story d’Eleonore Benit dans laquelle elle recommande une interview du podcast Vlan. Et c’est là que je découvre Lili Barbery-Coulon : je découvre son parcours, le non-sens de sa vie antérieure, sa vulnérabilité longtemps inavouée, son obsession du jugement extérieur, sa peur d’être illégitime, le poids des conditionnements … etc. Quasiment chacune de ses réponses me renvoyait à ma propre condition. J’étais subjuguée par le degré de justesse de ses propos, et l’intensité avec laquelle chacun de ses mots résonnait en moi. J’ai également adoré son intelligence : celle d’insuffler une liberté conquise, de partager des enseignements ancestraux dans une ère contemporaine, de fédérer, de se mettre au service du collectif.
Très inspirée par son parcours et par sa personnalité, je décide d’approfondir mes recherches (merci le confinement !) et découvre entre autres le Kundalini Yoga, ce yoga qu’elle enseigne depuis quelques années maintenant. Il faut savoir que j’ai très longtemps fermement rejeté tout type de yoga ou de pratiques spirituelles : par ignorance, je pensais qu’elles étaient réservées à des personnes perchées, en mal-être; ou des bobos/hippies en quête de nouvelles activités « trendy ».
Je n’y voyais que le bon vieux cliché de Bouddha méditant dans sa position lotus. J’étais complétement bercée par tous les clichés que nos sociétés modernes ont construits et que l’on s’amuse à caricaturer davantage, prétendant être dotés d’une intelligence supérieure. Je me ventais aussi d’être beaucoup trop pragmatique et censée pour atterrir dans ce genre de disciplines douteuses.
Mais après mon accident de santé, et sous les conseils de mon rythmologue, je me suis inscrite dans un centre de yoga – OmYoga Casablanca. J’y pratiquais du yoga dynamique et je commençais déjà à revoir ma copie quant à tous les préjugés que j’avais à la fois validés et nourris. Et sans vraiment comprendre les mécanismes du yoga, je savais simplement que cela me faisait du bien et que j’en sortais toujours avec une sensation de plénitude.

Lors du premier confinement, Lili Barbery offrait tous les soirs à 18h une séance de Kundalini Yoga en live sur son compte Instagram. Un soir, pour combler une des nombreuses heures creuses d’une journée de confinement, je me suis prêtée au jeu sans véritablement avoir d’attentes particulières.
Avec mes mécanismes bien installés d’intellectualisation, je m’étais tout de même un peu documentée en amont et j’avais appris que le Kundalini Yoga était une pratique spirituelle millénaire née en Inde. Cette pratique permet de libérer l’énergie vitale située au niveau de la ligature du triangle inférieur – la fameuse Kundalini – et la met au service des différents centres énergétiques supérieurs. On dit que c’est le yoga de l’éveil.
La séance est structurée avec d’abord quelques exercices de respiration Pranayama, puis un set de postures dynamiques qui harmonisent toutes les polarités du corps – Kriyas – et enfin une partie méditative avec des chants de mantras.
Ces recherches préalables que j’ai faites étaient non seulement inutiles mais surtout révélatrices de mes conditionnements, de mon besoin de tout intellectualiser. Or ce type de pratiques appelle justement à tout l’inverse : à s’engager dans une démarche expérimentale, à honorer son propre niveau d’expérience et son cheminement individuel, à laisser place à la guidance intuitive, à observer les flows de synchronicité qui surviennent. Aucune connaissance extérieure n’est nécessaire, ni aucune compétence analytique. Et c’est seulement lorsque je me suis véritablement engagée dans l’expérience elle-même, que j’ai accédé à ses enseignements.
Et aujourd’hui, plus d’un an après cette première séance, je n’arrive toujours pas à exprimer tout ce que j’ai rencontré et accueilli ce jour-là. L’expérience était transcendante. Ce dont je peux témoigner de manière factuelle c’est que j’ai pleuré à chaudes larmes, j’ai accédé à d’autres dimensions, j’ai ressenti dans ma chair une énergie vibrante qui traversait mes veines. Après ce cours, je ne voulais plus jamais que ces sensations me quittent.
C’était l’évidence, le désir viscéral venu de mes profondeurs. Ce jour-là, je me suis enfin rencontrée. Sans doute la rencontre que j’ai le plus attendue durant ces 32 années.

S’engager à incarner sa vérité
Depuis, j’ai beaucoup pratiqué le Kundalini yoga et la méditation de pleine conscience. Je me suis d’abord imposée cette rigueur à pratiquer tous les jours, puis j’ai rapidement compris que j’étais encore enfermée dans mes anciens schémas de performance : dans la méditation, la loi de la répétition est importante mais il n’y a aucune injonction, aucune consigne à respecter. Aucune importance si l’on pratique tous les jours ou trois fois par semaine. Il m’est arrivé de ne pas réussir à méditer certains jours. Il m’est aussi arrivé en m’asseyant pour méditer, de me lever aussitôt et d’aller faire autre chose. Et c’est ok car il n’y a aucun défi à relever, aucune réussite à atteindre. Il suffit simplement de s’écouter pour accéder à cette liberté qui s’offre à nous.
Par ailleurs, on assimile aussi la méditation à un exercice de relaxation car elle est souvent présentée comme un outil de bien-être. Or la méditation est bien au-delà d’être un simple outil, c’est une intention qui nous relie et nous connecte à tout ce que nous sommes. La méditation est avant tout un espace d’accueil et de rencontre avec soi, un espace de dévoilement où nous sommes autorisés à nous foutre la paix. Il n’y a rien à faire, elle est sans but particulier.
La méditation c’est simplement s’asseoir et accueillir ce qui EST, laisser monter les choses à travers nous. On n’essaie plus de lutter contre soi-même, de gommer tout ce qui paraît imparfait. On n’essaie plus de fabriquer une image lisse et superficielle. On ne s’identifie plus à une image idéale. On ne verrouille plus nos émotions sous prétexte qu’elles seraient réservées aux faibles ou aux enfants.
J’entends souvent dire aussi, à tort, qu’en méditation « il faut taire son ego ». Or, notre ego c’est notre personnalité, et nous sommes incapables en tant qu’humains de la gommer. Par contre, la méditation permet de se familiariser avec son ego et d’être conscient que ce sont des constructions narratives parfois limitantes. Mais on ne sacrifie jamais son individualité.
La méditation nous permet d’accéder à notre véritable identité, à notre Soi supérieur au-delà de la seule dimension physique. Et c’est aussi en cela que la méditation n’est pas toujours confortable, car on y rencontre aussi nos douleurs, nos souffrances, les couches superficielles stagnantes. Mais elle est toujours libératrice car elle nous dévoile la Vérité, elle nous remet en lien avec nos dimensions oubliées, elle nous connecte à notre créativité et à notre plein potentiel, à l’écart des systèmes qui sans cesse les menacent.

Alors j’ai appris à m’asseoir sur un coussin, à créer mon espace sacré, à purifier mes cristaux, à mettre des fleurs dans un vase. J’ai appris à accueillir mes émotions, à accepter que mon mental chahute, à observer sans jugements. Et puis, j’ai appris à écouter avec humilité le monde qui nous entoure, à m’émouvoir face à l’équilibre du vivant, à observer l’abondance en toutes choses, à me connecter au grand tout. Je sais que mon cheminement peut questionner et qu’il peut parfois susciter la complaisance. Je le conçois parfaitement car j’ai moi-même jugé auparavant ceux qui s’autorisaient à faire des pas de côté. Je suis consciente que nous avons été beaucoup trop moulés, que nos sociétés de masse ont uniformisé les pensées autour des seuls intérêts économiques, et que l’éveil de la conscience ne sert pas ces intérêts. Je comprends donc que certains restent conditionnés par les récits qu’on a reçus, que d’autres aient perdu ce regard neuf que l’enfant a lorsqu’il découvre pour la première fois tout débordant d’excitation, que d’autres soient complétement coupés de notre nature profonde et de notre dimension immatérielle. Mais c’est ok car j’ai aussi appris à laisser les jugements extérieurs me traverser.
Grâce à ma pratique, j’ai également retrouvé la notion de « temps long ». Je me suis autorisée à ne plus l’optimiser, ce temps. A ne plus être dans des urgences fictives. A ne plus courir derrière des satisfactions éphémères. A ne plus me venter d’être débordée. Et malgré les nombreuses pressions – souvent bienveillantes – de mon entourage, je me suis autorisée à créer cet espace : prendre le temps de me former longuement, faire des méditations de 2h30, me documenter et lire beaucoup. Je n’ai jamais autant appris que durant cette période. Et c’est une chose que la connaissance et la pratique ont en commun, c’est qu’elles me nourrissent.
Ce processus de transformation est long, je pense même que c’est le chemin d’une vie car toute chose est impermanente.
Ce processus n’est ni facile ni gratuit. Il nécessite un véritable engagement, des renoncements et une nouvelle façon de vivre.
Ce processus est parfois très dur. Physiquement. Emotionnellement.
Mais je ne me suis jamais sentie aussi alignée. A ma juste place. En joie d’incarner ma liberté d’être.
Et donc tout cela m’évoque une seule et unique recommandation : quoi que vous fassiez, faites-le avec le désir de servir votre vérité et n’attendez jamais le baiser de la société sur votre front pour vous réaliser.
« Deviens ce que tu es » disait Nietzsche.
J’ai l’impression d’avoir médité cette formule durant 15ans ; qu’il m’a fallu quelques années pour l’assimiler, quelques mois pour la manifester.
Il est de ces vérités qui ont besoin de temps pour être digérées.